auteur

SOLEVILLE EMMANUEL (1819 - 1891)

Enquête menée avant la fin des années 1880 (peut-être dès les années 1860) en Guyenne, dans le Bas-Quercy (nord du Tarn-et-Garonne, région de Montauban).
Ecrivain, poète, musicien, muséographe, secrétaire de l'Académie de Montauban, fils du président du tribunal de commerce de Montauban. Il dit avoir fourni, par l'intermédiaire d'un ami, son carnet de notes manuscrit à Athénaïs Michelet, qui publie quatre chansons avec musique dans ses Mémoires d'une Enfant en 1867.
(BNF, Académie de Montauban, Geneanet, complété par nous)

Commentaires généraux de Coirault :
- Figure dans la liste des collecteurs qui « se sont écriés tout d'une voix [après 1860] : "La poésie populaire se meurt ; la poésie populaire est morte (...) Il faut se hâter de recueillir !" » (Notre chanson folklorique, p. 24 et n. 1).
- Victime du « faux critérium de l'anonymat » (Idem p. 303 et n. 2).
- Est cité pour penser que les mélodies sont moins susceptibles de modifications que les paroles, ce à quoi Coirault s'oppose (Recherches sur notre ancienne chanson populaire traditionnelle, p. 522).
Voir plus bas pour les commentaires de Coirault plus particuliers sur sa collecte, ses conditions, et sur son travail d'harmonisation.
Commentaires généraux de Guilcher :
- Figure parmi ceux qui reconnaissent la chanson traditionnelle à son « ancienneté » (cit. : « Les chants du passé »). p. 66 : à propos du critère de l'anonymat (voir commentaire Coirault). p. 75 : partisan de la théorie qui, en opposition à la théorie romantique, attribue la création des chansons populaires à des individus « encore indéterminés, comme noyés dans la masse populaire (Coirault) ». (La chanson folklorique de langue française. Bibliographie. p. 58)
- Cité parmi les collecteurs qui, travaillant sur un milieu dont la culture, amoindrie, est en voie de disparition, sont amenés, contrairement à Arnaudin, à regrouper dans une rubrique particulière les « chansons de danse » selon ce que peuvent leur en dire leurs informateurs. (Rondes, branles, caroles. Introduction).

Publications concernant ou contenant des chansons ou de la musique traditionnelles :
- « Chants populaires du Bas-Quercy », Bulletin archéologique et historique de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne. Montauban. T. XI, 1883, p. 21-36, 177-194 ; t. XII, 1884, p. 81-96 ; t. XIII, 1885, p. 237-252 ; t. XIV, 1886, p. 225-248 ; t. XVII, 1889, p. 1-15.
Contient 31 mélodies, toutes reprises dans le suivant dont 28 à l'identique, 2 à l'identique avec introduction d'erreur, 1 avec une différence mélodique (sur une note).
Consultable sur Gallica

- Chants populaires. Légendes et ballades, noëls, etc., du Bas-Quercy, recueillis et notés... Paris, Champion, 1889, volume 1, V-352 p., volume 2 (musique) 112 p.
Contient 100 mélodies, dont 28 reprises à l'identique du Bulletin, 2 à l'identique avec introduction d'erreur, 1 avec une différence mélodique (sur une note).
Consultable sur Gallica

Mentionné sans commentaires par Van Gennep, lequel prend l'édition en livre de 1889 pour un simple tiré à part de la parution dans le Bulletin (1 n° pour les 2 : 4864).
Commentaire Coirault (sigle Soleville) :
« 100 numéros [i.e. chansons] en majorité folkloriques, pourvus de traductions (quelques-unes versifiées) et de commentaires. Conceptions folkloriques contestables (cf. l'Introduction : notamment (p. III) deux phrases sur la permanence des mélodies [qui] sont reproduites aux Recherches t. V, p. 522). Conditions de la récolte et collaborations parfois indiquées. (cf. p. 120 [sic pour 121], 147, 151 [sic pour 150], 231 en note [230], 245 [244], 258 en note, 290, 328). Des textes résultent de versions ou variantes combinées (cf. p. 277) et leur authenticité peut être douteuse (cf. p. 328). Grand intérêt de l'auteur pour les airs placés en fin de volume, accrus de piano. Il n'a « pas su résister à la tentation de relever, à l'aide de modulations passagères, la saveur, parfois un peu fade, de nos vieilles mélodies » (p. V). On ne saurait mieux faire entendre que les accompagnements harmoniques de cette espèce sont comparables à des épices importées d'un autre monde que notre folklorique.( Note : Ce disant, on ne nie en aucune façon l'excellence des nouvelles habitudes apportées à notre « politesse », à notre culture moderne par les organisations de sons simultanés ; on ne prétend point refuser à l'harmonie l'hommage que lui rendait Chabanon en 1785, quand bavardant « De la musique » etc. (p.4-5) il écrivait dans ses « réflexions préliminaires » : « Sans dénaturer la mélodie elle lui donne un nouvel agrément ; elle en fournit en quelque sorte la raison géométrique ; car la sympathie des sons qui les fait coexister (sympathie soumise aux lois du calcul) constitue aussi le rapport mélodique des sons qui rend leur succession agréable : d'où il résulte qu'il n'y a point de chant qui ne porte avec lui sa basse, et ses parties d'accompagnement ». C'est sans doute ce qui d'une pénétrante mélodie folklorique fait un air si puissant quand elle est chantée a cappella par un orchestre vocal, et ce qui rend ce chant splendide quand il s'exhale des multiples voix d'un chœur cosaque ou russe. Et même il suffit pour une émouvante métamorphose de la mélodie que, spontanément, son chant collectif s'élève de ces petits ensembles populaires, tels qu'il s'en forme encore d'instinctifs dans quelques régions de notre pays, et qui n'auraient que faire du piano d'accompagnement. » (Notre Chanson Folklorique, bibliographie).
Commentaires Guilcher :
- Sur la ronde-jeu intégrant des figures empruntées aux danses sociales de salon ou aux pratiques populaires urbaines (la trompeuse, apparemment limitée au seul Languedoc). Avec analyse du mouvement – p. 334-335. (Rondes, branles, caroles. Du branle chanté à la ronde-jeu. Dans les milieux populaires et notamment ruraux).
- Cité à propos de cette ronde (la troumpuso) rattachable à une danse-jeu en vogue à Paris sous le 1er Empire et la Restauration. (Idem. Annexe 11. La bonne aventure ou La trompeuse).
Cité à propos de ce type de ronde-jeu – p. 65. (Idem. Annexe 23 Rondes à retournement).
- Attestation de la présence de la farandole en Languedoc (Danse traditionnelle et anciens milieux ruraux français. Farandoles. Danses longues. p. 141 n. 26).

Remarques
Contrairement à ce que dit Van Gennep, l'édition en livre de 1889 n'est pas un tiré à part de ce qui a paru dans le Bulletin archéologique et historique de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne. Le livre comprend 100 mélodies, pour 31 dans le Bulletin. L'ordre des chansons communes est différent, ainsi que la mise en page. Les textes de présentation peuvent présenter des différences (notamment dans l’appareil de notes). La graphie de l’oc est différente pour les livraisons de 1883, puis ne connaît plus que de rares rectifications. Il n'y a pas de traduction en français dans la 1ère livraison en 1883 (les cinq premiers textes). Les textes – ou leur traduction – peuvent connaître quelques différences (3 chansons). Mais les mélodies, à une exception (légère) et à quelques erreurs introduites près, sont identiques.
Notons au passage que Coirault, dans son Répertoire, commet des erreurs pour les n° de page (plus exactement, il y a des confusions entre les n° de page du livre et ceux de la revue).

Soleville ne dit pas grand chose des conditions de sa collecte. Il n'y a aucune information sur les dates. Nous ne disposons donc que des dates de publication comme terminus ante quem.
Il n'y a non plus pratiquement aucune information sur les lieux de collecte, à part la mention générique du Bas-Quercy (nord du Tarn-et-Garonne, région de Montauban). Seuls sont mentionnés, dans l’édition de 1889, Montauban ou « sa région » 2 fois, ainsi que, peut-être, Mazères , Saint-Jean-de-Bouzet, Piquecos et la région s’étendant de Lafrançaise à Moissac (1 fois chaque, les 2 premiers pour la même chanson).
Très rares également (10 occurrences), et imprécises, sont les indications d'informateurs : « une vieille lavandière », « deux chanteuses », « une personne très âgée », « deux violoneux », « un vieux chanteur ». Seuls « Mlle Cécile M. » et le « Père-la-Joie, musicien des rues », sont « nommés ».
Certaines des pièces présentées sont de seconde main : Soleville cite quatre contributeurs : « Mlle Gabrielle B..., charmante collectionneuse à qui je dois plusieurs numéros du volume » (mais qui n’est citée qu’une fois p. 258), M. Lafosse, M. le curé de Saint-Jean-de-Bouzet et « un jeune ecclésiastique ».
Auxquels on peut peut-être ajouter Mme Athénaïs Michelet, à propos de qui Soleville est ambigu. D'une part, à propos de la Troumpuso, il dit que cette ronde « a déjà été recueillie par Mme Michelet dans les Mémoires d'une Enfant » - mais la formulation ne permet pas de déterminer si « recueilli » a son sens propre, ou signifie « publié ». D'autre part, pour prévenir toute accusation de plagiat, il dit à propos de l'harmonisation d'une autre chanson (la Noubièto) – pour laquelle il utilise la même formule « a déjà été recueillie dans les Mémoires d'une Enfant par Mme Michelet » – que cette dernière tenait « ce chant harmonisé » d'un ami commun qui « l'avait puisé – avec [s]on consentement – dans [s]on cahier de notes manuscrites. » Malgré l’ambiguïté du propos, on peut penser qu'il ne parle que de l'harmonisation (lesquelles harmonisations, assez simples, si elles se ressemblent, ne sont cependant pas identiques). En effet, les quatre mélodies publiées par Mme Michelet (Soleville n'en cite que deux, mais les deux autres chansons aussi leur sont communes) présentent des différences mélodiques, rythmiques ou de structure. De même, les textes présentent des différences qui sont suffisantes pour parler de versions différentes des chansons. Tout cela peut laisser penser que Mme Michelet a utilisé soit, pour le moins, un autre état du matériau fourni par Soleville, soit un autre matériau : sa propre collecte ?

Soleville évoque à un moment donné un aspect de sa méthode de collecte : il lui arrive de lire des textes de chansons gasconnes, « pour réveiller dans la mémoire des bouviers et des filandières, le souvenir des chansons oubliées. » (p. 230, note 1). Il ne cherche pas à transcrire ce que l'on peut entendre dans les campagnes du Bas-Quercy, mais à restituer un répertoire perdu, ici sur la base de versions venues d'ailleurs.
Il n'hésite pas à « combiner » deux versions d'une chanson « pour en former une leçon complète » (p. 150, ou p. 146 pour un autre exemple). Et comme tant d'autres, il n'hésite pas non plus à censurer des couplets par trop « libres » : « La chanson est incomplète, car elle a un troisième couplet que j’ai entendu chanter autrefois. Mais ce couplet, si mes souvenirs sont exacts, était assez libre, et je n’ai mis aucun empressement à le retrouver » (p. 209). Ou : « Le folklore du Midi abonde en chants burlesques et gouailleurs […]. Mais la sélection est de rigueur absolue, car la plupart de ces chants versent bientôt dans l’ordure ou l’obscénité » (p. 289 ).
Enfin, concernant les textes, on peut se demander s'il n'a pas éliminé les chansons en français, ne retenant que les textes en oc : « Je manque ici [à propos du Bouton refusé] à la promesse que je m’étais faite de ne recueillir que des chants en langue vulgaire. Mais je tiens à prouver (…) que la muse populaire admettait aussi, dans la langue d’oïl, la réduction métrique des syllabes muettes qui terminent le premier hémistiche » (p. 258).

C'est sans doute pour ce qui concerne la musique que Soleville propose un point de vue plus original que ses contemporains : cherchant à établir des « filiations historiques » pour les mélodies – très discutables par ailleurs – il se fonde sur une opposition entre ce qu’il appelle les « deux tonalités » : ce que nous appellerions musique modale et musique « moderne » (il parle de « tonalité moderne », p. 44).
« Comment, avec des thèmes si vagues, découvrir une filiation historique parmi ces productions de la muse populaire ? Je l’ai essayé en me guidant sur leurs affinités modales et sur l’opposition des deux tonalités. C’est l’objet des gloses qui accompagnent chaque cantilène. Envisagée sous ce point de vue et sans négliger les autres données du problème, la mélodie est encore la caractéristique la plus sûre de nos fabliaux et de nos chansons. » (Epilogue, t. 1, p. 347)

Les partitions présentent pour la plus grande part des accompagnements (voir plus haut ce qu'en dit Coirault) que nous n’avons pas reproduits, et quelques-unes des arrangements polyphoniques que nous reproduisons, dans un fichier différent ou dans le même, après avoir isolé la ligne mélodique, facilement assimilable à la voix 1.
Il y a quelques erreurs de notation, que nous corrigeons ou pas, selon leur nature. Toutes sont signalées dans les fichiers « Partition ».

 

Recueils